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dimanche 19 février 2012

S21

En 1975, les forces de sécurité de Pol Pot firent du Lycée Tuol Svay Prey, la prison de haute sécurité S21. Son directeur  « Dutch », le bourreau Khmer, a été condamné en appel il y a quelques jours à la perpétuité. Plus grand centre de détention et de torture, plus de 17000 prisonniers furent exécutés en trois ans.
Visiter S21, c’est comprendre l’histoire tourmentée des Cambodgiens. Rentrer dans ces cellules minuscules faites de briques pour certaines et de bois pour d’autres, parfois sans aucune luminosité, imaginer qu’un être vivant ait pu y passer plusieurs mois voire plusieurs années, torturé, sous alimenté est une épreuve pour nous. Ses murs recouverts des photos en noir et blanc de tous les détenus nous donnent la chair de poule. Des hommes, mais aussi des femmes et des enfants qui ont des regards sur lesquels on s’arrête : le regard désespéré à la limite des pleurs, le regard fou d’un homme perdu pour échapper à l’atrocité, le regard résigné, le regard doux et même le regard qui sourit.







Nous avions tous du mal à supporter que des hommes puissent faire autant de mal à d’autres, injustement. C’est aussi ça l’histoire de ce peuple cambodgien qui a souffert comme certains autres peuples.
Il ya eu seulement sept rescapés et voici le témoignage de l'un d'entre eux, toujours vivant.


Mon  nom est Vannat, je suis né le 5 avril 1946 dans le village de Spay dans la province de Battambang. Je suis l’un des 7  rescapés de la prison S21.
Mes parents étaient des fermiers et j’avais deux frères et deux sœurs. Quand j’ai grandi, j’ai choisi d’être peintre parce que c’était mon rêve d’enfant. Battambang  a été le lieu où j’ai commencé ma carrière professionnelle.  Même si le salaire n’était pas mirobolant, j’étais heureux et je me suis marié en 1971.
Tout a changé pour ma famille à partir du coup d’état organisé par le général Lon Nol qui a détrôné le roi Norodom Sihanouk en 1970.La guerre civile éclata dans le pays et plus personne ne s’intéressait à la peinture et ma vie devint de plus en plus difficile.
Fin 1974 et début 1975, le Cambodge va connaître ses heures les plus sombres. Battambang a été victime  d’un exode rural sans précédent, des milliers et des milliers de personnes fuyaient la guerre. Mais en même temps, l’armée rouge Khmer entourait Battambang.  Il y avait une rumeur qui disait que le cesser le feu et la paix étaient en cour de négociation. Comme tous les camarades Khmers, nous priions tous que la guerre s’arrête le plus tôt possible et que les souffrances cessent.
Le 17 avril 1975, un changement dramatique se produisit. L’armée des chemises noires marcha vers le centre de la province et à la surprise générale, la population les accueillit à bras ouvert car ils pensaient que la guerre civile serait terminée  sans savoir qu’elle allait faire plus de mal que de bien. Trois jours plus tard, la population était éjectée du centre ville vers la campagne. Ce fut la panique dans toute la province, et ce fut à la même époque que j’ai perdu toute ma famille. Heureusement, nous  nous sommes réunis dans la banlieue où nous campions temporairement en attendant qu’on nous autorise à revenir dans le centre ville.
Comme les choses ne se passaient pas comme nous l’avions espéré, nous avons décidé de retourner quand  même dans nos maisons. Nous avons été choqués d’apprendre que tous les villageois habitaient désormais un nouveau village à 8 Km. Ils étaient 2000 à 3000 habitants et comme les autres j’ai été obligé de creuser un tunnel avec mes mains pour le système d’irrigation. Plus tard, je fus assigné au maintien du feu de la cuisine commune.
Un an plus tard, la situation changea et le nombre de villageois diminua. Les ainés commencèrent à disparaître les uns après les autres. 1977 fut l’année la plus terrible. Tout le village était presque vide. Les gens partaient et ne revenaient pas. Certains étaient exécutés, d’autres se volatilisaient  et seul Dieu savait ce qui leur était arrivé. Certains partaient pour l’hôpital parce qu’ils étaient malades et ne revenaient jamais. Au même moment, ma tâche fut d’enterrer les morts dans des fosses communes. Je  devenais un membre de ce terrible comité. Le 30 décembre 1977, je fus arrêté la nuit par deux espions dont l’un était un voisin que je connaissais depuis longtemps. Un de mes cousins fut arrêté au même moment. Nous avons été escortés jusqu’à une pagode où nous avons été sauvagement torturés et interrogés. Partout, je voyais des gouttes de sang. J’ai été électrocuté jusqu’à tomber inconscient.
Je dis aux espions : « je ne sais rien et vous vous êtes sûrement trompé d’homme »
L’espion répondit : « Angkar* n’arrête jamais un innocent »
(*Angkar est le parti communiste du Cambodge)
Vannat : « je ne sais rien, juste que vous m’avez arrêté alors que je collectais du bois »
L’espion : « Angkar n’est pas si stupide pour arrêter le mauvais mec ; vous trahissez Angkar et maintenant vous allez me dire combien vous êtes et où sont-ils ? »

Une semaine plus tard, ils m’envoyèrent à la prison S21 à Toul Sleng par bus. Il y avait 17 autres prisonniers dans ce bus, tous étaient enchaînés. A l’arrivée, on m’a mesuré et pesé. Moi et les 17 autres prisonniers, nous avons été transférés dans une cellule commune au deuxième étage du bâtiment D où se trouvaient déjà 30 prisonniers. La vie là-bas était aussi horrible que l’enfer. Les repas se résumaient à 4 cuillères dans un bol de porridge blanc dans lequel on ne comptait qu’un grain de riz, deux fois par jour.

Un jour, les Khmers rouges sont arrivés et ont demandés à voir Heng Nat (mon pseudonyme). J’étais paniqué à l’idée de leur parler. Ils me demandèrent depuis combien de temps, j’étais là. Je finis par rencontrer Dutch en personne pour la première fois.

Dutch me demanda : « Vannat, est-ce qu’Angkar vous a arrêté ? Bien, Angkar veut maintenant une peinture de cette dimension, pouvez-vous la faire ? »

A ce moment là, je n’avais aucune précision sur le portrait  et de qui il pouvait s’agir. Je savais juste que c’était le portrait d’un leader important du groupe. J’ai peint 7 à 8 portraits. Alors, ma vie en prison changea. D’abord, ils me transférèrent au second étage du bâtiment C. Puis ils me firent confiance et je dormais désormais dans l’atelier de peinture. Il y avait une moustiquaire, une couverture et j’avais un compagnon d’infortune. Pour la nourriture, j’étais autorisé à manger les restes des Khmers rouges.

Le 7 janvier 1979, aux environs de 11 heures, on entendit le son de l’artillerie provenant de la ville. Les prisonniers qui travaillaient dehors ont du rentrer et on les enferma dans les cellules. Nous ne savions rien de la vie de l’extérieur. Les gardes Khmers rouges commencèrent à paniquer. Chacun d’eux était lourdement armé comme s’ils allaient sur la ligne de combat. Plus tard, cinq gardes nous prirent et nous traversâmes le marché russe vers le sud. Sur le chemin, il y eut un affrontement avec l’armée de libération, et paradoxe : certains prisonniers furent tués par nos libérateurs.

Le 13 janvier 1979, les gens retournèrent vers la ville, encouragés par l’armée de libération où bien souvent nous étions enrôlés. Quand mon supérieur appris que j’étais une victime de S21, il m’assigna à y travailler.

En mai 1979, je demandai une permission pour visiter ma région de Battambang. J’y retrouvai ma femme, seule rescapée de toute ma famille.

4 commentaires:

  1. les khmers rouges etaient des N'ASIE du cambodge

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  2. coucou angela, j ai bien eu votre dernier message pouvez vous m envoyer votre adresse mail car je ne l ai pas ce sera plus simple,
    nous nous regalons mais nous n avons pas le temps de lire votre blog car nous bougeons sans cesse. dalat climat un peu fria mais ici les fleurs sont partout, tout est decore, les ronds points, a la campagne devant les maisons. Tres beau mais super touristique, pour vin grosse deception, le gout plat, pas d arome,mais c est tres bien de decouvrir autre chose. Mais le must c'est que nous sommes venus voir des vignes et ici pas de vigne merci le guide du routard, les vignes seraient soit disant a nha trang ;)

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  3. Un article poignant au milieu du Maï Pen Araï asiatique !
    Combien il doit être difficile de déambuler dans un lieu pareil entouré de tous ces "regards" qui doivent vous reprocher de faire partie de cette race humaine qui peut être tant cruelle pour les siens... juste pour "le pouvoir" !

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  4. Merci pour cet article, certes moins "glamour" que les autres, mais qui nous aide à ne pas oublier que l'homme est un loup pour l'homme...Quelle leçon pour Tess et Donovann...

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